COMMODE MARQUETEE

Double ressaut central

Commode-Reizell-estampille-Rigot-Lyon

La commode de François REIZELL que nous présentons est la parfaite représentation des travaux de Jean-François Oeben pour la création, la « naissance », de la commode Transition (dite « à la Grecque »).

Notre meuble est une pièce de commande, un travail d’une parfaite bienfacture, d’une finition irréprochable.

Pour notre commode, nous retrouvons la structure identique à celle de l’œuvre du maître.
Soit : la commode en acajou de la collection Karl Lagerfeld (1) ainsi que celle en acajou et placage d’acajou de Madame de Pompadour à Ménars (2).

Nous observons surtout la même absence de tablier et son cul de lampe. Les lignes droites du bas de caisse, le jonc de sa ceinture, la disposition des tiroirs et le ressaut postérieur sont semblables.

Notre commode possède aussi le rare système de fermeture simultanée des tiroirs par une seule serrure créée par cet artiste.

Puis, ces pièces « historiques », seront parées d’un riche décor de marqueterie et de bronzes à la ciselure recherchée, comme celles de notre collection.

Elles annoncent le style Louis XVI.

(1) Les styles Transition et Louis XVI, Anne Droguet, Edition de l’Amateur, p. 147
(2) 18° aux Sources du Design, Edition Faton, p. 188

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Description:

La façade à léger double ressaut central ouvre par trois rangs de tiroirs dont un dans un étroit bandeau sous le marbre. Le rang est divisé en trois tiroirs rentrants juxtaposés. Ce bandeau, marqueté d’une riche frise de postes dans un encadrement est séparé des deux larges tiroirs inférieurs par un demi-jonc en laiton mouluré et doré. Ces deux tiroirs superposés sont à traverse intermédiaire dissimulée dans le corps central

Le corps central est composé de trois réserves dessinées par des encadrements de filets de damiers composites bordés d’une plate-bande d’amarante aux angles rentrants dans un entourage de bois de rose. Le décor central du ressaut présente une cassolette en marqueterie aux anneaux soutenant une guirlande fleurie sur un fond de sycomore teinté vert disposée sur un parterre de damier en perspective. Un somptueux drapé encadre ce tableau de marqueterie.

Il est séparé par une bande hélicoïdale marquetée, et encadré des deux panneaux présentant des remarquables jeux de fond en mosaïque de marqueterie, disposés en compartiments de formes géométriques : mosaïques d’étoiles disposées en pointe de diamant intercalées de cubes et surmontés de losanges quadrilobés.

Les panneaux latéraux à léger ressaut postérieur déclinent une marqueterie identique : cartouche rectangulaire à frise de poste et fleurettes, demi-jonc mouluré en laiton doré et encadrement marqueté.

Les montants antérieurs arrondis se terminent par des petits pieds fortement galbés.

Les bas de caisse sont mouvementés.

Admirable garniture de bronzes ciselés et dorés : entrées de serrures, anneaux de tirage à tors de laurier sur disque, sabots enchâssés à feuillages et enroulements, chutes.

Le dessus en marbre blanc veiné gris de Carrare mouluré avec écoinçons.

Estampille de F. REIZELL
Epoque Transition

Pour son grand intérêt stylistique et technique, la richesse et l’éclat de son somptueux décor,
Pour son parfait état de conservation, notre commode est rare.
Elle est une pièce de collection patrimoniale.

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Brève chronologie des styles « à la grecque », Transition, et Louis XVI

Peu après 1750, des changements importants s’annoncèrent avec des signes précurseurs d’un style nouveau.

En plein règne du roi Louis XV est née en France une profonde évolution stylistique influencée par l’art antique avec les découvertes des fouilles d’Herculanum puis de Pompéi, ou, par la réminiscence du classicisme Louis-quatorzien revisité avec Etienne Levasseur.

C’est une réaction au style Rocaille trop envahissant, outrancier, qui devient suranné et très critiqué.

En 1749, la Marquise de Pompadour organisa, pour son frère le marquis de Marigny, un voyage d’étude en Italie pour parfaire sa culture artistique, dans l’espoir de le voir gratifié du poste de directeur des bâtiments du roi (ministre de la Culture). Cet homme d’exception organisa une politique des arts digne de la royauté. Il fut alors entouré des meilleurs conseillers, tels l’architecte J. Germain Soufflot, du théoricien et critique d’art, l’abbé Le Blanc, historiographe du roi, de Charles Nicolas Cochin secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, garde des dessins du roi, avant-gardiste et moderne. Tous des acteurs majeurs sur la scène artistique. Un voyage d’études et de découvertes de novembre 1749 à mars 1751.

Ils visitèrent Herculanum, et la collection d’Antiques que conservait précieusement près de Naples le roi Charles III. Ce voyage sera décisif pour l’évolution du goût en France.

Le site d’Herculanum leur a révélé une civilisation, tant par l’architecture que par l’art en général. Cochin fait paraître alors sa campagne en 1754 dans le Mercure « supplication aux orfèvres, ciseleurs et sculpteurs sur bois ». Sa supplique est un véritable manifeste pourfendeur du style Rocaille. Cet appel est entendu et soutenu par l’élite culturelle et artistique parisienne.

Il faut dire que déjà un prosélytisme pour l’art grec était prôné. Le comte de Caylus, grand voyageur, antiquaire, homme de lettres, archéologue, avait parcouru ces pays et fixait par des dessins et des gravures ce qu’il découvrait, telles les ruines d’Ephèse et de Colophon

Puis en 1760, Charles Debrosses fit connaître la découverte de Pompéi.

Mais jusque-là, le style Rocaille restait intact, et changer de style était très complexe entre les anciens et les modernes, qui eux, abusèrent (également) d’un décor chargé et lourd donc peu convainquant qu’ils appelaient le style « grecque ».

Le mobilier dans le goût du célèbre et exceptionnel bureau de Lalive de Jully était trop rigide. Diverses tendances destinées à assouplir les lignes virent le jour peu avant les années 1760.

Mais, ce ne sont pas les marchands merciers, ni les architectes, ou les ornemanistes qui réconcilieront ces deux styles antinomiques, mais un maître ébéniste, grâce à son acuité artistique et sa virtuosité technique d’artisan.

Les arts décoratifs français seront de beaucoup redevables à l’ébéniste Jean-François Oeben.

J.F Oeben créa la commode Transition dont les plus beaux modèles étaient destinés à la Marquise de Pompadour. Le style de cette création fut tout de même appelé « à la grecque » avec ressaut central, une division en deux parties : le haut par une ceinture sous le marbre qui ouvre par un ou trois tiroirs juxtaposés, puis le bas, par deux larges tiroirs superposés. Elle pose sur des pieds légèrement galbés, forts et très équilibrés.

F- Oeben, habile mécanicien avait créé le système d’une unique serrure centrale verrouillant l’ensemble des tiroirs.

Ce modèle connut un très grand succès pendant de longues années. Il fut apprécié par les ébénistes les plus emblématiques tels RVLC, Martin Carlin, Riesener, Leleu et bien sûr par son frère Simon Oeben.

Mais à l’évolution des formes devait répondre leur ornementation. Ce fut la mission des ornemanistes Dugourc, Soufflot, Pâris qui parcoururent l’Italie.

F- Oeben eut le mérite d’infléchir le style du meuble composé dans le pur style Antique « le goût grec » avec plus de simplicité et le retour à la ligne droite en conservant des éléments curvilignes en son milieu.

C’est l’avènement du style Transition.

Par l’équilibre et la maturation de leurs travaux, ces grands maîtres préfigurèrent le style Louis XVI vers les années 1772. On peut dire, en correspondance avec la fin du roi Louis XV en 1774.

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François REIZELL
Maître le 26 février 1764
Mort le 25 octobre 1788

Un ébéniste de grand talent à la production abondante.

François Reizell bénéficia de nombreuses commandes du prince de Condé pour le Palais Bourbon, les châteaux de Chantilly et Villegénis.

Ses ouvrages sont de grande qualité et tous de style Louis XV et Transition.

Outre les classiques placages en feuilles de bois de rose, bois de violette, il maîtrise avec grande virtuosité la marqueterie aux lumineux motifs de fleurs, guirlandes, compartiments, oiseaux, paysages et vases. Ainsi, d’une manière générale, sur les meubles d’époque Transition, il n’est pas rare de retrouver des trophées, des nœuds et rubans ainsi que des cubes et jeu de fonds

Musées :
Paris, Arts décoratifs : Encoignure Louis XV
Paris, Carnavalet : un secrétaire Transition (legs Bouvier)
Paris, Louvre : un secrétaire Louis XV en doucine
Versailles, Lambinet : une petite commode Louis XV marqueterie de cubes.

F. Reizell compta au nombre de ses ouvriers, l’exceptionnel ébéniste Joseph Baumhauer dit Joseph, qui se distingue comme artisan privilégié du Roi.

Mais la référence prééminente des travaux de l’ébéniste François Reizell est celle du comte François de Salverte. Sa collection personnelle n’accueillait-elle pas une « petite commode Transition à marqueterie d’attributs, fleurs et oiseaux ».

Depuis 1927, les ouvrages éponymes étaient, et restent la référence pour tout antiquaire, et pour les amateurs des Arts Décoratifs – ne dit-on pas « Le Salverte ».

Bibliographie :
– KJELLBERG, P. (1998). Le mobilier français du XVIII° siècle. Paris: Les éditions de l’amateur.
– SALVERTE, C. F. (1953). Les ébénistes du XVIII° siècle, leurs oeuvres et leurs marques (page 264, planche LVII) non réédité Paris: Vanoest, Les éditions d’art et d’histoire.