Le goût français

ESPRIT LIBRE
LE GOUT FRANÇAIS ©

LE GOUT FRANÇAIS
« Le monde l’admire. Il peut se définir, car il possède des caractéristiques que l’on retrouve à travers toutes ses transformations au cours des siècles »
Albert GILOU (1952) *

Une prémonition, un testament ? Soixante-dix ans après, où est donc passé ce goût français ?

« Les gens de goût, incapables de stimuler un nouvel artisanat ou d’imposer de nouvelles formes » écrivait déjà Albert Gilou en 1961.

Cet abîme des arts décoratifs fut vite comblé par l’intrigante évolution civilisationnelle de « l’Art contemporain », né vers 1950.

Le meuble, reflet de la société.
Par son entière altérité, cet art conceptuel, principalement art de massification devint l’antithèse des Arts décoratifs du XVIII° siècle. Il fallait l’inventer, le créer et ce fut chose faite. Il est devenu le fer de lance des transformations sociétales de demain, donc une sujétion. Mais très rares sont les réalisations pouvant honorer le génie créatif de l’homme.

Mais alors, et le « XVIII° » ?

Eh bien soyons pragmatiques !
Il y a quelques années, je cède à un couple de mes fidèles clients collectionneurs franco-suisses un magnifique miroir d’époque de la Régence en bois doré « tout nature ». A leur départ, l’épouse me fait part de son questionnement spontané et judicieux. « Mais Monsieur Rigot, quand le marché se réveillera, il n’y aura jamais assez de pièces de cette qualité ! ». Quelle logique ! En effet, malgré l’état actuel atone du marché, je n’ai pas pu satisfaire les demandes des pièces déterminantes et de grande qualité – comme d’autres confrères très certainement.
Les plus belles sont conservées et « thésaurisées » par les familles.
Il s’agit d’un patrimoine transmissible.

Avec le temps, le meilleur de ce goût français sera l’objet d’une quête dans le désert d’une civilisation aride…
Puis viendront inéluctablement le discernement et la clairvoyance des élites, futurs enfants de la technologie du numérique !
Ils voudront être des acteurs privilégiés de cette composante de l’histoire créative du génie humain : le goût du beau pour les arts décoratifs du XVIII° siècle français.
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Le cycle commercial des années 70 du mobilier et des objets anciens se termine.
Il faisait suite à la « magie » du « formica » et du strict et sobre « Scandinave ». Ce fut un cycle long et d’une déraison enthousiasmante. Il pouvait concerner toutes les catégories socio-professionnelles par l’étendue de son évocation mémorielle et par son répertoire

Le mobilier révèle la société.
L’art contemporain s’est installé naturellement. Il faut vivre avec son temps. Ce temps, trop impalpable est celui des nouvelles technologies numériques, de la robotisation et des promesses du
Metavers. Une mutation étrange pour certains, naturelle pour d’autres, les suiveurs.

Les arts décoratifs du XVIII° siècle ? Honnis pour certains. Mais indispensables à un équilibre intellectuel, une culture artistique et des valeurs civilisationnelles pour une petite minorité. Ils sont aussi synonymes de luxe et de patrimoine.

Pour les suiveurs, il s’agit d’un prochain cycle attendu quand il aura de nouveau l’attrait de la découverte. Comment évoluera-t-il ? Une complémentarité ? Les designers, les décorateurs semblent faire ce choix.

On doit dire que par son aridité et sa standardisation, le « contemporain », aura, en corollaire, grandement participé à la consécration universelle des arts décoratifs du siècle des Lumières. Depuis plus de deux cents ans, après l’Empire, tout n’avait-il donc pas été essayé ? Bien sûr que si ! Mais relégué et oublié.

A l’heure des productions de masse et des produits standardisés, souvenons-nous que chaque pièce XVIII° est unique. Qu’elle a été dessinée par les grands designers qui s’appelaient les ornemanistes et les marchands merciers ; et construite uniquement par la main de l’homme.

 MOBILIER ET OBJETS D’ART : LE PATRIMOINE
Les prestigieuses ventes des collectionneurs Hubert de Givenchy, Balkany, Pierre Bergé, Yves Saint Laurent dont les résultats ont défrayé la chronique.

L’intérêt des pouvoirs publics et des mécènes
– Réouverture Hôtel de la Marine.
– Réouverture des appartements de Mme du Barry du château de Versailles
– Ouverture des nouvelles salles du musée du Louvre – mobilier et objets d’art du XVIII° siècle : l’art de vivre à la cour de France.
– Réouverture des appartements de la Dauphine, du Dauphin, des filles de Louis XV et du capitaine des Gardes.
– Restauration complète du musée Carnavalet.
— Et pendant ce temps, …
Les trésors qui sont convoités par les amateurs et les collectionneurs disparaissent d’un marché français déjà paupérisé (export).

Une remarque intéressante :
Récemment, lors d’un reportage paru dans une revue spécialisée dédiée au luxe et au raffinement, nous découvrons l’émotion et la sensibilité d’un designer français de grand renom.
Dans un environnement personnel dépouillé, ses créations sont exposées et admirablement intégrées parmi un mobilier d’exception Louis XIV et XVIII°.
Cette riche valorisation du contemporain par le XVIII° siècle n’exerce aucun conflit visuel mais témoigne au contraire d’un ressenti de quiétude et d’harmonie alors que cette mise en scène pourrait sembler contradictoire ou dissonante.

Voilà toute la virtuosité de ce designer.

NB. Il faut dire que dans ce cas, le contemporain était minoritaire, l’intérêt étant sa découverte, en parcourant un XVIII° siècle de qualité muséale !

Une renaissance : un nouveau cycle
Une contrainte : la tendance

  • Par définition, les arts décoratifs du XVIII° siècle sont toujours élitistes.
  • Le moment opportun de la renaissance commerciale des arts décoratifs du XVIII° siècle sera projeté par les grands acteurs français du commerce international des antiquités. Seuls ceux-ci auront la possibilité d’en assurer le développement par la puissance de la communication et de l’événementiel. Ils ont l’autorité, l’aura et la capacité financière pour porter un projet ambitieux et pérenne.

Quand ? Et par quels canaux commerciaux réactualisés ?

L’organisation du marché des « antiquités et objets d’art » a tellement été bouleversée par la révolution numérique qu’il semble difficile de prévoir une ébauche pour ses nouvelles bases commerciales.
Mais quelles que soient ces contraintes, encore faudra-t-il toujours déceler le meilleur de ce « Goût Français ». …Et pendant ce temps…les pépites convoitées par les amateurs et collectionneurs éclairés continuent de disparaitre du marché français. Ils n’achètent pas au son du clairon !

N.B. La « déraison enthousiasmante » du marché du mobilier et des objets d’art anciens restera un épisode, une péripétie civilisationnelle.
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Une simple réflexion personnelle et professionnelle née de la lecture de l’étude de Monsieur Albert GILOU le « Goût Français », parue dans la revue Réalités de décembre 1952.

Après la clarté et la maîtrise de son enseignement, comment ne pas s’interdire par réserve et sociabilité de tout commentaire d’humeur ?!!.

Les arts décoratifs sont bien le reflet d’une société.

Gérard RIGOT
Orfèvre D.E.
Antiquaire

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*Albert GILOU (1910-1961)                                                                                                           
– Collectionneur d’art français                                                                                                       
– Directeur artistique, fondateur de Connaissance des Arts                                                   
– Directeur artistique de REALITES de 1950 à 1969

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ADDENDA

– IL FAUT SAVOIR QUE LE XIX° SIECLE a fécondé de très beaux objets appréciés en décoration.

POUR LE XVIII° SIECLE, il est important aussi d’évoquer les très belles créations du mobilier en bois naturel qui expriment l’âme et l’identité de nos provinces et la genèse des arts décoratifs.

Quel enchantement !

Ces pièces nous lèguent un humanisme bienveillant et sont tout aussi remarquables que le très beau mobilier parisien à l’exemple de ces deux modèles en suite.